Grand sujet de l’athlétisme en 2019, puis en 2020, les chaussures « next gen » à plaque carbone (mais pas que, nous le verrons dans cet article) continuent d’animer les débats en ce début d’année 2021… Alors même que très peu de courses ont lieu, pas une ne se passe sans que l’on n’observe une attention toute particulière à ce que les athlètes ont aux pieds.
Quelques exemples des réflexions auxquelles on a le droit aujourd’hui :
Pierre-Ambroise Bosse n’est plus sous contrat avec Puma ? Il s’empresse de courir en Air Zoom Victory (NDLR : ou en New Balance, selon l’humeur) ! Ça veut bien dire quelque chose non ? Mais ça ne suffit pas à lui faire courir 1.40 ni à gagner les Europe… Alors c’est que ça ne sert à rien ?
Kipchoge a fait son record du monde en Alphafly mais n’a pas été capable de suivre l’allure à Londres, que doit-on en déduire ? La chaussure fait-elle le coureur ou est-ce l’inverse ?
Mais est-ce que ces questions ont bien un sens finalement ?
Depuis les temps qu’on en parle un peu partout dans les médias, sur les réseaux, autour des stades… pour en dire tout et surtout n’importe quoi (NDLR : quoique cela tend à devenir de moins en moins vrai, plusieurs articles récents ont été très bons à ce sujet), nous nous sommes dits qu’il serait intéressant de discuter de ce sujet passionnant, afin que tout le monde détienne les tenants et les aboutissants de la problématique autour de ces nouvelles chaussures et que l’on puisse enfin échanger de manière calme et apaisée, sans s’étriper dans des commentaires aussi vaseux que « c’est la chaussure qui fait tout » ou « non mais ça n’a aucun impact, c’est que du psychologique ! #effetplacebo ». Parce que ce n’est ni l’un, ni l’autre. Ce n’est ni tout noir, ni tout blanc. Comme la vie en général, les chaussures next gen et leurs impacts sont une nuance de gris.
Nous trouvons cela d’autant plus pertinent que ce qui s’est passé sur la route il y a bientôt 4 ans est en train d’arriver sur piste et on a l’impression de revivre exactement la même chose.
Allez, c’est parti on se lance : let’s go vulgariser le sujet des chaussures next gen.
La genèse des chaussures carbone
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un peu d’histoire. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, les premières chaussures de course à pied utilisant du carbone ne datent pas de 2017. La Nike Vaporfly 4% du projet Breaking2 (NDLR : pour ceux qui ne savent pas de quoi il s’agit, on le décrit un peu plus loin dans l’article) n’est donc pas la première chaussure carbone jamais produite. Ça remonte en fait à bien plus loin.
Dès les années 1990/2000, Adidas et Fila présentaient déjà des modèles à plaque carbone.
Paul Tergat, sponsorisé par Fila, avait ainsi porté un modèle avec lame carbone, la FILA™ Racers (semelle CarbonKevlar) de même qu’Haile Gebresselasie avait pu porter la Adidas Adistar Competition Proplate.
Voici la description que faisait Adidas de cette chaussure, disponible dès les JO de Sydney en 2000 : « Une plaque de fibre de carbone renforcée est placée dans la semelle de la chaussure et empêche la flexion excessive des pieds, économisant ainsi l’énergie. »
« Une plaque de fibre de carbone… économisant l’énergie ». C’est on ne peut plus explicite. Et en lisant cela, on pense immédiatement à une Next%, pas à une chaussure des années 2000.
Pourtant à l’époque, personne n’en parlait. Alors pourquoi ?
Nous avons trouvé plusieurs raisons :
- Le running n’avait pas en 2000 la même place dans la société. En gros, courir n’était pas aussi cool qu’aujourd’hui. Ce n’était plus « atypique » comme dans les années 60-70, mais ce n’était pas quelque chose d’aussi répandu. On ne va pas s’épancher sur les raisons qui ont mené au développement du running dans les années qui ont suivi, ça mériterait un article à part entière mais prenez cet élément pour acquis. Promis on ment pas.
Le public de coureurs de l’époque a ainsi trouvé les chaussures trop chères, pas adaptées au « commun des mortels ». L’objectif des coureurs lambdas n’était alors pas tant la performance que le confort et ces chaussures n’ont ainsi pas connu un grand succès commercial.
- La deuxième raison est que ces chaussures n’ont pas bénéficié du même marketing que celui réalisé pour les Next et autres chaussures « carbone » actuelles. Le tour de force de Nike tient en une idée toute simple : réussir à faire parler de ses chaussures comme de la réalisation du mythe de « la chaussure qui court vite », et d’apporter des éléments pour le prouver. Le premier événement Breaking2, qui s’est tenu à Monza en 2017 est ainsi un bijou de marketing. Ce projet qui aurait coûté à la marque un investissement total de 25 millions de dollars a permis de faire parler de la Vaporfly 4% comme on n’avait jamais parlé d’une chaussure auparavant. Jamais un lancement de produit n’avait bénéficié d’une telle médiatisation, n’avait été aussi théâtralisé et n’avait été à ce point associé à une notion de performance. Grâce à ce projet, largement diffusé par la suite via un reportage de National Geographic, Nike a réussi à faire entrer dans la tête du public que ses chaussures étaient les principaux vecteurs de la performance incroyable de Kipchoge (NDLR : et nous le verrons par la suite, elles n’y sont effectivement pas étrangères). Le travail marketing a ensuite été poursuivi avec l’arrivée de la Next%, encore plus performante, qui a été largement diffusée auprès des meilleurs athlètes mondiaux, sponsorisés par… Nike. Ceux-ci ont bénéficié des effets de la chaussure et, étant déjà très bons, ont réalisé des chronos extraordinaires. Leurs concurrents ont naturellement voulu avoir le même équipement, certains voyant que leur sponsor ne parvenait pas à créer une chaussure aussi efficace ont crié au dopage technologique… etc, etc, jusqu’au point culminant de l’INEOS Project (NDLR : qui aurait coûté la bagatelle de 15 millions d’euros) et la réalisation du fameux « SUB2 » qui a fini de consacrer les chaussures au Swoosh comme les chaussures les plus performantes jamais conçues. L’exploit réalisé par Eliud Kipchoge (NDLR : 1:59:40, dans des conditions certes avantageuses, 41 lièvres, voiture ouvreuse…) ce 12 octobre 2019 a retenti bien au delà des frontières du monde de l’athlétisme, chose qui avait rarement était faite auparavant. Quelques chiffres pour vous donner une idée : 49 diffuseurs ont retransmis l’épreuve dans un peu plus de 200 pays pour un nombre de téléspectateurs estimé à 500 millions. Sur les réseaux sociaux d’INEOS et d’Eliud Kipchoge, les vidéos de l’évènement ont cumulé 39,8 millions de vues et 2,6M de likes en une journée.
La marque Nike a été au moins aussi bonne pour concevoir des chaussures plus performantes que jamais que pour faire en sorte que le monde entier soit au courant qu’elle l’avait fait.
- Dernier point, le plus important : la technologie de l’époque était en fait très différente des chaussures actuelles. Il manquait en effet au moins un, voire deux éléments centraux : la mousse et la semelle. Celles-ci sont au moins aussi cruciales que la plaque mais le commun des mortels (et même une bonne partie des athlètes) n’en parle pas. Pourquoi ? Sans doute parce que parler de « plaque en carbone » est plus vendeur que de parler de « mousse » ou de hauteur de semelle… Il n’empêche que l’on ne peut pas réduire les chaussures actuelles à leur plaque carbone, au contraire ! Pour preuve, de très nombreuses chaussures récentes font aussi partie de la catégorie « next gen » et apportent empiriquement un gain, sans plaque en carbone. La Nike Tempo Next%, la Saucony Endorphin Speed ou, côté pointes, la Dragonfly, possèdent une plaque en nylon, pas en carbone. Par contre mousse et semelle sont bien présentes… Si l’on veut être précis quand on parle de ces chaussures il est indispensables de les mentionner.
L’essentiel du gain apporté par ces chaussures ne réside ainsi vraisemblablement pas dans le carbone seul mais dans l’association de différentes technologies. Le carbone, c’est l’argument marketing, celui sur lequel on se focalise : si on y regarde de plus près, cela va en fait bien plus loin. Jamais la Adistar Competition Proplate ne pourrait rivaliser avec une Adios Pro et pourtant toutes les deux contiennent du carbone.
Alors dis-nous Jamy : comment cela fonctionne en détails ?
Eh bien c’est très simple Fred : la plaque de carbone dans les chaussures sert à apporter de la structure et du soutien, en réduisant la flexion des orteils, le pied maintenu à plat étant plus dynamique. Mais le vrai secret réside dans l’utilisation d’un matériau appelé « Pebax », une forme de plastique, très léger et résistant à la flexion. Celui-ci est notamment produit par Arkema, une société française. La structure chimique du Pebax est une chaîne d’alternance de blocs souples et rigides dont le rapport peut être ajusté avec précision. Ensemble, les blocs offrent résistance et flexibilité pour un poids très faible, ainsi qu’un fort retour d’énergie, ou « rebond ». C’est en transformant les granulés Pebax en mousse que Nike a obtenu le fameux « ZoomX » : une semelle exceptionnellement douce et légère qui produit un très fort retour d’énergie à chaque foulée plutôt qu’une absorption, tout cela avec un amorti préservant les muscles et donc la fatigue générale de l’organisme. C’est ainsi cette mousse qui est véritablement « magique », pas le carbone, qui seul ne sert pas à grand chose. En soi, n’importe quel type de plaque apportant de la rigidité fait même l’affaire : le nylon par exemple fonctionne très bien. L’avantage du carbone est qu’il est plus léger et se combine a priori mieux avec le Pebax selon les études. Voilà pourquoi c’est ce matériau qui est principalement utilisé.
Mécaniquement, ces chaussures sont performantes car elles offrent un excellent retour énergétique sur chaque foulée.
Aujourd’hui, 27 enseignes différentes produisent des chaussures à plaque carbone. Si Nike reste a priori le leader du marché, son ancienneté lui offrant une certaine avance, la marque américaine n’est plus en situation de monopole technologique. Ces derniers mois, des chaussures aussi performantes (NDLR : + ou – selon les modèles), comme l’Endorphin Pro de Saucony, la Carbon X d’Hoka et surtout l’Adidas Adios Pro sont venues contester l’hégémonie du swoosh. Cela devrait être encore plus le cas dans les mois à venir maintenant que les marques ont compris le principe.
Du côté des chaussures à pointes, un sujet quelque peu différent que nous traiterons à la fin de cet article, Nike devrait également être très bientôt concurrencée (NDLR : New Balance en fait déjà et des prototypes de pointes Adidas en carbone ont déjà été aperçus : photo ci-dessous)
Le tournant
Maintenant que vous connaissez l’histoire de la genèse des chaussures « carbone », intéressons-nous un peu plus au « tournant », à savoir le moment où, réellement, ces chaussures sont devenues un sujet polémique dans le monde de l’athlétisme.
On pourrait dater cela à Mai 2017, au moment de la première tentative du « Breaking 2 », et de la Vaporfly 4%, mais il nous semble plus approprié de choisir, pour la France, le 10km d’Houilles en décembre 2019.
Pourquoi ce moment ?
D’abord parce que la Next%, sortie en 2018, est indéniablement plus performante que la Vaporfly 4% (NDLR : plus stable, plus optimisée, elle apporterait un gain de 5% en termes d’économie de course). Ensuite, si vous avez fait un peu d’économie au lycée, vous êtes familier avec la loi de diffusion de l’innovation de Joseph Schumpeter.
Bref résumé pour ceux qui l’auraient oubliée ou qui ne connaîtraient pas : Schumpeter explique qu’une innovation met un certain temps à se diffuser auprès du grand public et que, de ce fait, on ne voit les impacts d’une innovation que quelques mois/années après sa sortie.
En ce qui concerne les chaussures carbone, ce schéma s’applique : seuls certains vrais férus d’athlé et de technologie ont fait l’acquisition des Vaporfly 4% à leur sortie. Le prix (250€), l’un des plus élevés qu’on ait vu pour une chaussure de course avait de quoi freiner. Mais petit à petit, le marketing et les performances réalisées par les athlètes Élites ont fait leur effet. À la sortie de la Next, le produit « chaussure carbone » entrait dans la phase où « la masse » commençait à suivre les « early adopters ». À Houilles, en décembre 2019, une très grande partie des coureurs alignés avaient ainsi des Vaporfly Next% aux pieds. La pluie des records qui a suivi et l’association de ces résultats avec les chaussures, détaillée dans un article de Vincent GUYOT a fini de placer les chaussures au centre du débat sur la performance.
Les réseaux sociaux ont facilement amplifié la polémique, faisant de ces chaussures l’un des plus grands débats de l’histoire de la course à pied. Les esprits se sont rapidement échauffés entre commentaires rageurs et inopportuns et réflexions limitées comme « la chaussure n’apporte rien » ou « la chaussure court toute seule ». L’athlétisme est un sport où l’ego a une forte place et il est aussi difficile de voir ses records personnels battus par d’autres que d’entendre que sa performance se limite à une paire de pompes.
Essayons donc maintenant de mettre cela de côté et de regarder les choses de manière objective, sans jugement de valeur, afin de bien comprendre la nature des effets de ces chaussures sur la performance.
Le gain apporté par ces chaussures (et notre avis)
Empiriquement, on observe un gain. Rien ne sert de le nier, les faits sont là. On ne repassera pas en détails le nombre d’athlètes qui ont battu leurs records avec ces chaussures, que ce soit sur route ou aujourd’hui sur piste, ce serait impossible. Jamais nous n’avions vu autant de records tomber en demi-fond que ces dernières années. Chez les pros, comme chez les amateurs, ça a été un véritable raz de marée. D’un seul coup, l’athlétisme tout entier s’est mis à aller plus vite. C’est d’ailleurs l’un des prodiges de ces chaussures : absolument tout le monde peut en bénéficier (moyennant une dépense de 200-300€ certes).
Cette avalanche de records ne peut pas être dû au hasard.
Ceux qui avancent que ces chaussures « n’apportent rien » se voilent la face. Dans ce cas pourquoi acheter des paires de chaussures plus chères si elles n’apportent rien ? Pourquoi courir avec des Next ou des Adios Pro plutôt qu’avec des Streak ou des Adios si c’est pareil ? Les marques elles-mêmes avancent que ces chaussures disposent d’une technologie destinée à améliorer les performances des coureurs et à les aider à battre leurs records. Pour une fois que ce n’est pas un simple argument marketing…
Les personnes affirmant que les chaussures next gen n’ont pas d’impact sur la performance sont de moins en moins nombreuses aujourd’hui, heureusement. Car c’est principalement à cause de ce genre de réflexions que les débats houleux démarrent. La question n’est en effet pas de savoir si ces chaussures apportent un gain : elles le font (NDLR : nous détaillerons par la suite plusieurs études analysant de manière plus précise la nature de ce gain)
Le vrai sujet autour de ces chaussures réside justement dans le fait de prendre conscience que ce gain existe et que cela change le référentiel de performance dans lequel nous étions depuis des années.
Ce changement technologique est un des plus importants que la course à pied ait connu dans son histoire. Il est de ceux qui font passer ce sport dans une ère nouvelle, comme le passage des pistes cendrées au tartan. Évidemment, on ne peut pas non plus comparer les chaussures des années 2000 à celles du début du XXème siècle. Mais l’évolution qui s’est opérée ces dernières années est une des plus brutales jamais observées : il y a ainsi a priori moins de différence entre une chaussure du début des années 1970 et une chaussure des années 2000 qu’entre cette dernière et une Vaporfly.
Aujourd’hui avancer que ces chaussures sont juste un effet placebo est une hérésie. Certes il peut y avoir une part de placebo dans la performance : la confiance de porter des chaussures dernier cri au pied, le fait de se dire qu’à ce prix là on ne peut que performer… Mais aussi le regain de confiance apporté par le fait de ne pas être dans un état de fatigue général après un certain nombre de tours ou de kilomètres et donc la capacité à replacer une attaque là où autrefois on aurait lâché prise ou juste serré les dents !
L’empirisme tend ainsi à vérifier les 4 à 5% d’économie de course avancées par les marques, ce qui se traduirait par une amélioration de la performance de l’ordre de 1,8% (grosso modo). Il semblerait par ailleurs que la catégorie de coureurs qui bénéficient le plus de ces chaussures soient les coureurs de niveau « intermédiaire + » (ou seuillard de base), qui ont des records de l’ordre de 35 minutes au 10km. L’explication résiderait dans le fait que ces coureurs n’ont en général pas leurs « leviers de performance » poussés au maximum à l’inverse des coureurs de haut niveau, et ont donc plus de marge de progression. De plus, comme ces personnes s’entraînent malgré tout un minimum, elles sont en mesure de tirer un vrai bénéfice de la chaussure, là où ceux qui ne courent jamais peineraient à sentir une réelle différence. Cela démontre aussi que posséder la chaussure ne suffit pas pour perfer : elle est une véritable aide mais elle ne remplace pas l’entraînement.
D’ailleurs pour éviter toute polémique inutile, voici notre point de vue sur les chaussures en question : les chaussures bénéficiant de technologie « nouvelle génération » (plaque carbone, mousse, semelle etc…) apportent indéniablement un plus au coureur qui les porte. Celui-ci économise réellement de l’énergie sur sa course, la chaussure lui permet de mieux exploiter ses efforts, avec un meilleur retour, un meilleur amorti, un meilleur dynamisme. Cette économie d’énergie lui permet de se fatiguer plus lentement et donc de maintenir plus longtemps sa pointe de vitesse, ce qui se traduit par du temps gagné à l’arrivée. Il est acté que l’environnement de course (revêtement, conditions météo, densité…) participe à la performance et les chaussures font désormais partie intégrante de cet environnement. Pour nous, cela n’est pas une mauvaise chose. Sans progrès technologique, nous n’aurions pas vu la même avancée dans les records. Exemple bateau qui parlera à tout le monde : pas sûr qu’Usain Bolt aurait couru 9’58 sur une piste en cendrée avec des pointes du début du XXème siècle. L’athlétisme est un sport où on aime comparer les perfs dans le temps, mais cela n’a pas toujours de sens. Comparer les époques, essayer de savoir si Prefontaine aurait couru plus vite qu’Ingebrigsten avec des Dragonfly, c’est un peu de la masturbation intellectuelle selon nous (NDLR : ou le scénario de Rocky VI, qui n’est clairement pas le meilleur de la saga). C’est tout simplement incomparable. Les légendes d’hier ne mourront pas parce qu’on va plus vite aujourd’hui. Steve Prefontaine ne courait « que » 3’38 au 1500 et 13’21 au 5000 : ils sont nombreux à aller plus vite aujourd’hui et pourtant on n’oublie pas « Pre »
Les perfs réalisées aujourd’hui avec ces chaussures font entrer l’athlé dans une nouvelle ère et il faut en être conscient, c’est tout. C’est sans doute juste plus brutal que jamais cette fois-ci.
Mais ainsi va le monde… Les perfs d’aujourd’hui ne ressemblent pas à celles d’hier et ne ressembleront pas non plus à celles de demain. C’est ce qu’on appelle l’évolution. L’important dans ce sport au delà du seul chrono est quand même de savoir qui coupe la ligne d’arrivée en premier et ça, pour le coup, les chaussures n’y ont rien changé. Nous pouvons néanmoins comprendre que cette évolution est brutale et que cela choque de voir plusieurs grands records de l’athlétisme tomber les uns après les autres, parfois plusieurs fois. Le record du monde du marathon d’il y a 10 ans a ainsi été battu 10 fois rien qu’en 2019 et n’est plus aujourd’hui que le 31ème chrono le plus rapide de l’histoire. Le record du monde du semi-marathon a été battu par 4 athlètes dans la même course cette année. Mais c’est aussi ainsi que va le sport : les records sont fait pour être battus. L’athlétisme perdrait de sa saveur si on se rendait compte qu’on ne peut plus aller plus vite. Cela n’aurait plus le même intérêt. Rien ne sert donc de dévaloriser les performances d’autres fois en les comparant à aujourd’hui : le record de Sir Roger Bannister a été battu plusieurs fois, par de nombreux athlètes, pourtant il restera à jamais le 1er à être passé sous les 4 minutes au Mile. Combien aurait-il fait aujourd’hui sur tartan moderne et en Dragonfly ? On s’en fout. L’important est ailleurs. Donc est-ce que ça vaut le coup de savoir si Cheptegei est plus fort que Bekele ou si ce dernier l’aurait battu avec des Dragonfly, comme on a pu l’entendre cette année ? Et bien pas sûr que la question ait du sens en fait.
Le vrai problème qui pouvait se poser existait quand ces chaussures était le monopole d’une seule marque, ce qui créait un déséquilibre entre les athlètes sponsorisés. Aujourd’hui ce n’est plus (tout à fait) le cas et dans les années à venir il y aura une totale uniformité. C’est vrai que cette avancée a donné un côté Formule 1 à la course à pied et fait de plus en plus la part belle aux (constructeurs) équipementiers. C’est aussi ce que nous trouvons un peu « abusé » avec ce débat, à savoir le fait de réduire toute la performance à la seule chaussure. N’oublions jamais qu’on ne fait pas d’un cheval de trait un cheval de course. Et que sans entraînement, tu peux courir autant que tu veux avec des Next tu n’avanceras pas plus vite. La chaussure, même si elle aide, ne fait pas tout. Les performances réalisées, c’est avant tout le travail des athlètes. La chaussure est un élément qui bonifie le travail réalisé à l’entraînement, en aucun cas elle n’est un substitut au travail et au talent. Il faut donc arrêter de dire « c’est uniquement grâce aux chaussures », tout comme il faut arrêter de dire qu’elles n’ont aucun impact. Les chaussures aident l’athlète à courir plus vite mais c’est encore à lui de fournir l’effort.
Bref, pour nous le progrès technologique fait partie du sport et du monde en général et cette révolution que nous vivons nous fait juste entrer dans une nouvelle ère. Ce n’est pas la première fois que cela arrive.
Les études
Nous avons lu une dizaine d’études autour de ces chaussures, qui visaient à analyser le bénéfice exact qu’elles apportaient aux coureurs. Une étude de statistique observationnelle de 2019 a particulièrement retenu notre attention. Celle-ci a été réalisée sur un échantillon de 308 hommes et 270 femmes, athlètes élites ayant performé sur marathon avec et sans Vaporfly.
Pour les hommes, l’amélioration se situe probablement entre 2,0 et 3,9 minutes sur marathon, soit entre 1,4% et 2,8% de performance. Pour les femmes, elle se situe entre 0,8 et 3,5 minutes, soit entre 0,6 et 2,2 %.
Une autre étude (NDLR : A Randomized Crossover Study Investigating the Running Economy of Highly-Trained Male and Female Distance Runners in Marathon Racing Shoes versus Track Spikes) réalisée en 2019 sur 24 athlètes de haut niveau dotés au hasard de Vaporfly 4% et de chaussures « classiques » confirmait ces résultats. (NDLR : Pour ceux que cela intéresse, le spécialiste du sujet Vincent Guyot a concocté un véritable dossier de presse agrégeant presque tous les articles sortis à ce sujet ces dernières années. Demandez-nous si vous voulez les liens)
Toutes les études sorties sur l’impact des chaussures next gen sur les courses sur route démontrent qu’elles apportent un gain substantiel en termes d’économie de course, qui se caractérise par une variation du % d’économie d’énergie selon les types d’expériences et les répondants. Même si ces études ne permettent pas d’avancer un chiffre précis et valable de manière universelle pour tous les coureurs, l’important est qu’elles démontrent un impact réel de la technologie sur la performance.
On ne parviendra néanmoins jamais à retirer un chiffre absolu de « secondes gagnées par kilomètre », tout simplement parce qu’une course ne peut pas être absolue. Chaque coureur est unique et les conditions de course sont chaque fois différentes. Deux athlètes avec des styles de course différents ne retireront ainsi pas le même gain marginal de la chaussure. Rappelons que le gain ne se fait pas en termes de vitesse globale mais d’économie de course : la question est donc de savoir combien de temps vous pourrez maintenir une allure plus rapide. On n’a pas rendu les coureurs intrinsèquement plus rapides, on leur a permis de tenir une allure rapide, qu’ils pouvaient déjà réaliser, plus longtemps. Ça revient presqu’au même mais il y a une petite nuance, qui rend inepte toute tentative de calculer un gain absolu.
Il est de fait absolument impossible d’établir un gain absolu de secondes par kilomètre valable pour tous les athlètes de manière uniforme puisque tous ne courent déjà pas à la même vitesse. N’écoutez donc pas ceux qui vous donneront un chiffre absolu au lieu d’une fourchette.
Pour conclure sur ce sujet, l’important n’est d’ailleurs pas tant de savoir combien de secondes sont gagnées précisément que de savoir que des secondes sont gagnées tout court. Le point de ces études était avant tout de démontrer qu’un gain existait, en termes d’économie de course. C’est chose faite.
Et maintenant, c’est quoi la suite ?
Cet article n’arrêtera pas le débat au sujet de ces nouvelles chaussures. Seul le temps le fera car quoiqu’il arrive, elles sont désormais installées dans le paysage athlétique. On ne croit ainsi pas à un retour en arrière, comme cela a pu être le cas en natation, quand les combinaisons en polyuréthane affolaient les chronos.
Plusieurs raisons selon nous empêchent de comparer la situation actuelle avec la natation. D’abord les chaussures sont beaucoup plus répandues dans le public que ne l’avaient été les combinaisons : il serait ainsi bien trop compliqué d’effacer les records de tous les amateurs qui en étaient chaussés. Tout comme il serait bien trop compliqué d’aller faire la police sur un départ de marathon avec plusieurs centaines de participants.
Deuxièmement, côté technologie, les règles en natation étaient plus faciles à édicter : les maillots ne devaient pas dépasser une certaine longueur ni recouvrir l’entièreté du corps du nageur. En athlé c’est plus compliqué. Qu’est-ce qui devrait être interdit ? L’utilisation de plaque carbone ? La mousse en Pebax ? Comment légiférer ?
Troisième point, les instances réglementaires ont déjà mis trop de temps à statuer. En 3 ans, cette technologie est entrée dans les moeurs. Comment revenir en arrière après ça ? Pas sûr que cela soit aussi facile entre un sport qui compte un peu plus de 300 000 licenciés en France (la natation) et un autre qui en compte 12 millions (en comptant tous les joggeurs, qui, surtout à Paris, courent beaucoup en Alphafly). Après les Jeux de Tokyo ce sera trop tard.
Enfin, a-t-on vraiment intérêt à changer la donne ? Quoiqu’on en dise, cette technologie est un moyen de faire parler de course à pied et d’améliorer les records… Est-ce du dopage technologique ? Pour nous non car il n’y a pas de triche à proprement parler. À partir du moment où la chaussure est validée par World Athletics, pourquoi ne pas courir avec ?
La vraie question réside donc dans les critères qui doivent être établis pour valider ou non une chaussure. Le récent abandon du projet Viperfly, la pointe conçue par Nike pour les sprinters qui a a priori été jugée « trop performante », interroge. Quand décide-t-on d’une chaussure qu’elle est trop performante ? Pourquoi la Vaporfly a été validée sur route puis la Air Zoom Victory et la Dragonfly sur piste et pas celle-là ? Le problème aujourd’hui c’est ce flou dans les règlements et la définition de la zone où la chaussure devient du « dopage technologique ». Il faudrait peut-être regarder du côté du vélo, qui a établi des règles concernant les machines montées par les cyclistes. Eux aussi ont bénéficié de l’apport de la technologie « carbone » ces dernières années.
À partir de quelle limite dit-on à un fabricant de chaussures que son produit est « trop performant » ? Quelles sont les règles à définir ? On ne pourra pas empêcher les marques de s’évertuer à concevoir des chaussures toujours plus performantes : c’est leur raison d’être ! Dès les années 1970, Bill Bowerman, co-fondateur de Nike, s’attachait déjà à trouver des moyens de créer des chaussures qui rendraient les athlètes « plus rapides »
Ces questions sont presque d’ordre éthique et nous n’avons pas aujourd’hui de réponse claire à apporter. Le sujet n’est pas nouveau, c’est peut-être juste la première fois que le projet « chaussure qui court vite » fonctionne aussi bien.
Quoiqu’il en soit, il faut être conscient que si l’on bat son record avec une chaussure next gen, la technologie n’y est pas totalement étrangère. Il faut être conscient qu’on achète un peu de progrès. Il faut se rendre compte que les chronos d’aujourd’hui ne sont pas réalisés dans les mêmes conditions qu’hier, que le référentiel a changé et qu’on entre dans une ère nouvelle, où vraisemblablement tout va aller plus vite.
Pour autant, il ne faut pas s’y résumer. La chaussure ne fait vraiment pas tout et ne se substitue pas, on le répète, à l’entraînement et au talent des athlètes. Cela est d’autant plus vrai que parmi les quelques études que nous avons pu lire sur les pointes, il semblerait qu’il y ait des athlètes qui y répondent mieux que d’autres… Acheter des chaussures next gen n’est donc pas une condition ni suffisante, ni nécessaire pour exploser votre RP… Mais ça pourra vous aider, en plus d’intensifier vos séances 😉
Vive le seuil, la giclette, le sabot et les pointasses.
Tempo Run Club et The Running Collective
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