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Accompagnement scientifique à la performance en athlétisme : interview de François Chiron

François Chiron

L’accompagnement scientifique à la performance en athlétisme 

Depuis quelques années, cela commence à devenir une habitude, on voit de plus en plus d’athlètes Élites se faire une petite piqûre à l’index, dans le but de mesurer leur taux de lactate dans le sang. Popularisé par le succès des frères Ingebrigtsen, qui analysent leur taux de lactate sur nombreuses de leurs séances d’intervalles (cf : la web série Team Ingebrigtsen) pour vérifier qu’ils travaillent sur les bonnes allures, ce protocole est aujourd’hui répété dans de nombreux groupes d’entraînement. Mais au-delà de cette simple mesure du lactate, c’est toute une batterie de tests et d’outils d’analyse qui sont utilisés par les athlètes de haut niveau de nos jours : cardio-fréquencemètre, analyse posturale… etc. Ces différents protocoles, méthodes et outils peuvent être recoupés sous le nom « d’accompagnement scientifique à la performance » et c’est aujourd’hui un élément clé de la progression et de la réussite des athlètes. Pour en savoir plus sur ce sujet méconnu du grand public, nous avons posé quelques questions à François Chiron, doctorant à la Fédération Française d’Athlétisme et accompagnant privilégié du pôle demi-fond de l’INSEP, groupe d’entraînement dans lequel on retrouve des champions comme Claire Palou, Aude Clavier, Jimmy Gressier ou encore Mehdi Belhadj et Mohamed-Amine « Momo » El Bouajaji.

TRC : Salut François, comment vas-tu ?

François Chiron : Salut l’équipe TRC ! Comment ça pourrait ne pas aller après 10jours de soleil à la Réunion et le lancement de la saison hivernale ! 

TRC : Peux-tu nous expliquer le sujet de tes études à l’INSEP ?

FC : Tout d’abord, je suis doctorant en contrat CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la Recherche) à la Fédération Française d’Athlétisme (FFA) et le laboratoire LBEPS (Laboratoire de Biologie de l’Exercice pour la Performance et la Santé) d’Évry. Mon sujet de thèse porte sur l’optimisation de l’enchaînement des courses de 400 mètres à Haut-Niveau. Pour faire simple, j’ai 70% de mon temps de travail qui est dédié à mon projet de recherche ; puis j’ai également 30% de mon temps consacré à ce qu’on appelle de l’Accompagnement Scientifique à la Performance (ASP). L’ASP peut prendre diverses formes comme on le voit souvent à travers l’évaluation et l’analyse de plusieurs déterminants de la performance (physiologiques, mécaniques ou psychologiques) mais également des temps de formations/sensibilisations auprès des entraîneurs et athlètes. C’est dans ce cadre-là que j’interviens régulièrement à l’Institut National du Sport et de la Performance (INSEP). 

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Photo : @wk.vision
Je dis souvent que l’accompagnement scientifique est une aide à la prise de décisions pour l’entraîneur 

TRC : On t’a vu réaliser plusieurs tests avec des athlètes français, notamment avec le Pôle France ½ fond de l’INSEP : quelle est la nature de ces tests et à quoi servent-ils pour l’athlète ?

FC : Étant domicilié à Paris, c’est vrai que j’interviens la majeure partie de mon temps à l’INSEP auprès du Pôle France Athlétisme, et notamment auprès d’Adrien Taouji avec qui je travaille durant mon temps libre depuis 4ans en tant qu’adjoint. Mais je peux également être amené à me déplacer sur tout le territoire, voire parfois en stage comme, Font-Romeu, en Afrique du Sud ou plus récemment à la Réunion. Les actions d’accompagnement scientifique à la performance (ASP) sont très variées : cela peut être la réalisation d’évaluations ponctuelles (énergétique, musculaire, sommeil…) en collaboration avec le laboratoire SEP de l’INSEP ; un accompagnement plus régulier durant les sessions d’entraînement avec notamment les fameuses « prises de lactates », le monitoring de la fréquence cardiaque ou encore de l’analyse vidéo ; un suivi longitudinal avec la variabilité de la fréquence cardiaque et la conception de fiches destinées aux athlètes pour optimiser leur nutrition et leur récupération ; mais aussi un autre type d’accompagnement qui consiste en ce qu’on peut appeler de la « veille scientifique » (vulgarisation et résumé d’un ou plusieurs articles sur un sujet précis pour l’entraîneur). Voilà rapidement un bref catalogue des actions que peut mener un accompagnateur scientifique.

Je dis souvent que l’ASP est une aide à la prise de décisions pour l’entraîneur ! Ces diverses actions d’accompagnement sont donc destinées directement à l’entraîneur, au travers de feedbacks, qui lui permettent d’avoir d’autres informations qu’il n’a pas toujours le temps de récolter. Ces informations lui permettent à terme d’optimiser l’entraînement et la performance des athlètes.

Donc l’ASP sert bien évidemment à optimiser la performance de l’athlète, mais surtout à accompagner les entraîneurs en leur communiquant des informations pertinentes au regard de leurs besoins pour qu’ensuite ils puissent prendre les meilleures décisions. 

TRC : On sait que dans d’autres pays, notamment les USA, l’accompagnement scientifique à la performance existe depuis des années (notamment avec le controversé Alberto Salazar), pourquoi en France on a l’impression que ce n’est pas vraiment le cas ou du moins seulement depuis peu ?Est-ce une idée fausse ?

FC : Tout d’abord, il est très compliqué de comparer les USA ou même le modèle anglo-saxon avec la France. Dans leurs systèmes, le sport de Haut-Niveau est privé alors qu’en France, les fédérations sportives et les clubs sont tutelles du Ministère chargée des Sports et par extension de l’État :  c’est du domaine publique même si l’ANS (Agence Nationale du Sport) change légèrement la donne.

Par ailleurs, c’est une fausse idée car l’ASP existe déjà en France depuis longtemps (sous diverses formes) dont notamment à l’INSEP depuis le début des années 1990 et officiellement à la FFA avec la création de la cellule ‘’Recherche’’ créée en 2017 par Christine Hanon (Cadre Technique à la FFA et anciennement directrice du laboratoire à l’INSEP en 1992). Puis en 2021, Christine a été rejoint par Guillaume Guiloineau (autre Cadre Technique de la FFA) ainsi que 5 étudiants (Jérémy Jusseaume, Vincent Guyot, Benjamin Millot, Simon Martin et moi-même). De ce fait, les actions d’ASP sont certes différentes des actions conduites dans les groupes privés comme aux USA, mais très diversifiés ! Pour prendre quelques exemples, Christine a mené plusieurs dossiers afin d’avoir des financements pour des projets de recherches ; le travail de Vincent et de son analyse de courses n’est plus à présenter ; l’analyse et l’évaluation, par Benjamin ou Jérémy, des déterminants mécaniques du sprint en compétition comme dernièrement au championnat de France Élite ou au meeting de Lyon sont régulièrement réalisées ; la conception d’un protocole très précis réalisé par Simon et Christine pour l’acclimatation à la chaleur lors des J.O de Tokyo ou encore la présence de Benjamin ou de moi-même lors de stages Équipe de France pour effectuer de multiples évaluations.

En résumé, il y a beaucoup d’actions d’ASP conduites à la FFA mais c’est un travail qui est très souvent réalisé en sous-marin. Après, on ne va pas se le cacher, d’autres fédérations, dont notamment dans les sports collectifs, ont davantage de moyens ce qui leur permet d’être peut-être encore plus performants.

TRC : En demi-fond plus particulièrement, on s’intéresse beaucoup depuis quelques années à la fameuse « méthode Ingebrigtsen » dont on sait qu’elle est basée sur la mesure, la mesure du taux de lactates… Est-ce que suivre cette méthode d’entraînement à la lettre c’est la panacée pour performer ?

FC : Déjà qu’est-ce que signifie ‘’mesurer le taux de lactates’’ ? Car en fonction de la méthode de prélèvement, du type de séance, voire de ce que tu as mangé, la lactatémie peut totalement changer ! Je grossis volontairement le trait, mais c’est simplement pour dire que je ne suis pas sûr qu’il soit pertinent de vouloir suivre la méthode Ingebrigsten, surtout quand on connait un peu leur histoire. Le père a 3 fils qui font tous du très Haut-Niveau. Ça fait des années qu’il recueille, avec l’aide de scientifiques, de nombreuses informations sur ses fils dont notamment leur différentes valeur/seuil de lactates à des intensités relatives.

On entend beaucoup d’entraîneurs ou d’athlètes parler de valeurs de lactatémie dont notamment les fameux seuils de 2 et 4mmol à ne pas dépasser. Je pense qu’il y a beaucoup de fantasmes, de spéculations et d’erreurs autour de ces mesures. En effet, la valeur de la lactatémie ne signifie pas grand-chose quand elle est sortie de son contexte. Il est également primordial de savoir pourquoi on la mesure, car entre une séance VMA, un seuil, un footing en endurance fondamentale ou une spé 800 mètres, ce n’est pas du tout la même utilité et par conséquent la même utilisation. En résumé, la réponse à la question : est-ce que suivre la méthode Ingebrigsten à la lettre est pertinent ; je pense que non. Est-ce mesurer la lactatémie, au même titre que d’autres paramètres de l’entraînement tels que de la FC le chrono ou l’allure : bien sûr !

TRC : Qu’est-ce qui va être mis en place en termes d’accompagnement scientifique pour les athlètes français jusqu’aux JO ? As-tu le droit de nous donner quelques infos ?

FC : Ce n’est pas au futur, il y a déjà eu des actions concrètes pour les J.O précédents, il y a déjà des actions qui sont menées et bien évidemment, il y en aura encore d’autres. 

Très concrètement et sur un plan longitudinal, il existe entre autres des projets de recherche qui s’intéressent à la prévention des blessures des muscles des ischiojambiers (projet FULGUR) ainsi qu’un projet qui utilise la réalité virtuelle pour optimiser la transmission du témoin lors des relais (projet REVEA). On peut également citer des projets conçus pour 2024, avec par exemple le projet à destination des perchistes avec Sciences 2024, le projet VERTUO qui s’intéresse à l’alimentation et à la prévention des troubles du comportement alimentaires, ou encore un projet spécifiquement consacré aux meilleurs athlètes jeunes de lancers. On retrouve aussi les thèses initiées par la FFA dont celle de Benjamin qui s’intéresse aux déterminants mécaniques de la performance lors de la course en virage et la mienne sur l’optimisation de l’enchaînement des courses de 400 mètres à Haut-Niveau, pour qu’à terme nous puissions aider à faire évoluer les pratiques. À côté de ça, il existe encore de nombreuses actions dont celles déjà évoquées précédemment comme la création de rapports de courses détaillés à la suite de compétitions, de la veille scientifique avec la création de fiches ‘’pédagogiques’’, ou lors de séances comme le fait régulièrement Benjamin avec le sprint, le lancer ou les épreuves combinées et moi avec le demi-fond et le fond.

TRC : On a parlé jusqu’ici de pays où la science tenait une place importante dans l’entraînement. Pourtant il existe aussi des pays, on pense notamment en Afrique de l’Est ou cet accompagnement scientifique paraît mineur, voire inexistant (bien sûr, par manque de moyens). Pourtant les performances sont tout de même au rendez-vous. Qu’en penses-tu ? 

FC : Sincèrement, je crois qu’il est très compliqué de comparer les pays d’Afrique de l’Est comme le Kenya ou l’Éthiopie avec les autres. Du fait de leurs histoires et de leurs cultures, les motivations ne sont pas du tout les mêmes et par extension, les enjeux sont également différents. Sans être dans la caricature ou les clichés, courir est avant tout, dans ces pays-là, un métier et un gagne-pain non négligeable pour vivre. Alors qu’en France par exemple, le sport est tout d’abord une pratique récréative, du fait de son origine associative, qui peut ensuite devenir un métier. Par ailleurs, la dimension « vitale » de la course à pied n’est pas très représentative de la culture occidentale même s’il est vrai qu’un grand nombre d’athlètes français vivent dans une situation de précarité…

Toutefois, l’ASP est bien présent pour certains athlètes issus de ces pays. Il suffit de regarder le projet Breaking2 de Nike et toutes les actions d’ASP qu’ont nécessité ce projet avec le lancement des nouvelles chaussures, la création d’une nutrition optimisée pour marathonien, la mise en place d’un pacing (lièvres) parfait en V… Encore une fois, tout dépend de ce qu’on appelle accompagnement scientifique mais je pense qu’à très Haut-Niveau, la majorité des athlètes en bénéficient d’un.

TRC : Comment un athlète amateur, qui ne bénéficie pas d’une structure d’entraînement comme l’INSEP peut-il intégrer un accompagnement scientifique dans son entraînement ?

C’est vrai que lorsqu’on parle d’ASP, on pense tout de suite à des techniques d’optimisation de l’entraînement très sophistiquées. Pourtant, lorsqu’on utilise son cardiofréquence mètre, sa montre GPS ou la dernière boisson isotonique pour son marathon, c’est déjà de l’ASP. Je pense que chaque athlète désireux de progresser peut à son échelle bénéficier d’un accompagnement scientifique. Cependant, il faut être vigilant aux nombreuses sociétés qui vendent monts et merveilles ! Pour ceux qui s’intéressent à la question de l’ASP, je les invite à lire la Revue AEFA (dont le dernier numéro trimestriel présenté notre cellule Recherche et la question de l’ASP à la FFA), à assister à différents colloques ou formations organisés par la FFA qui traitent de la question et tout simplement à échanger avec nous quand l’occasion se présente autour des stades.

François Chiron
Lions Track Club
Photo : @wk.vision
Ingebrigtsen lactate

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