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Gérer l’échec en course à pied : la déprime du coureur

Yakoub Delhoum

La gestion de l’échec en course à pied 

Nous ne vous apprendrons rien en vous disant que la course à pied n’est pas un sport facile. Pour réussir, s’entraîner « un peu »ne suffit pas : il faut s’entraîner dur, quasi quotidiennement, avoir un mode de vie d’ascète, limiter les excès, surveiller son sommeil… Bref, être presque totalement dévoué à la seule pratique de ce sport. Tout cela en veillant à ne pas verser dans le surentraînement. Pas facile. Et même en réussissant à faire tout cela, il n’est pas dit que vos efforts paient tout de suite. Parfois cela peut prendre du temps avant que les performances n’arrivent.

L’athlétisme a cela de difficile qu’il est un sport de mesure. Qu’on le veuille ou non, le chrono ressemble beaucoup à une note et bien souvent, quand on ne réalise pas son record personnel, on ressent une certaine déception. On se dit, souvent à tort d’ailleurs, qu’on est « moins bon » qu’auparavant, qu’on n’a pas progressé, que nos efforts n’ont pas payé… Ce sport a cela de difficile que, si l’on se base uniquement sur le chrono, c’est une histoire sans fin. Car même si on parvient à améliorer sa meilleure marque, la fois d’après on essaiera encore de faire mieux et la fois d’après encore, et ainsi de suite… C’est évidemment ce qui fait tout le charme de l’athlé, mais si l’on y accorde trop d’importance, si l’on se base uniquement sur le chrono, on peut vite tomber dans un certain cercle vicieux. Car bien entendu, les courses où on ne bat pas son record sont bien plus nombreuses que celles où on « claque un RP »

Réussir une course ne doit ainsi pas être uniquement basé sur la seule notion chronométrique. Mais ça, c’est facile à dire bien entendu. Qui n’a jamais été dégoûté comme jamais après une course où on n’a pas vu le chrono espéré tomber ? Qui ne s’est jamais demandé à quoi rimait tous ses efforts après avoir enchaîné plusieurs « contre perf » ? Qui ne s’est jamais cru « fini » ? Qui après un échec n’a jamais dit « J’arrête » ou, plus crument, « J’en ai marre de ce sport de merde » ? Si vous courez depuis un moment en compétition, vous vous reconnaîtrez forcément là-dedans. On est tous pareil. On a tous déjà connu la « déprime du coureur ». Voici quelques exemples :

  • Tu as déjà dit « C’est bon cette fois j’en ai marre. J’arrête. » en sachant pertinemment que tu n’arrêterais pas.
  • Tu as peut-être ponctué la phrase précédente par « J’en ai marre de ce sport de merde. » Là encore tu mentais. Tu adores ce sport. C’est d’ailleurs peut-être bien ton problème.
  • Tu te dis que le résultat obtenu n’est pas à la hauteur de ton investissement. C’est souvent comme ça.
  • Après une course ratée tu es invivable, tu ne parles à personne, tu es agressif. Et plus le temps passe, plus ça dure. Terrible.
  • D’ailleurs à force tu es aussi devenu comme ça avant les courses, peut-être un phénomène d’anticipation.
  • Le lendemain d’une course que tu juges ratée, au taf, tu es complètement improductif.
  • Si par malheur tu as la vidéo de ta course, tu passes ta journée à la regarder en boucle, en trouvant à chaque nouveau visionnage une nouvelle raison de ton échec.
  • Pendant la course, tu étais complètement cuit à 100m de l’arrivée. Pourtant plus les jours passent, plus tu te convaincs que si tu avais eu le « mental » d’accélérer tu aurais pu le faire. Une fois pour toutes : non.
  • Tu te dis « c’est qu’une question de mental, si je veux, je peux ». Et c’est pas totalement faux. Mais c’est pas non plus totalement vrai. Fais l’effort de garder dans ta mémoire la prochaine fois que tu es complètement à l’agonie à l’entraînement et tu verras que même si tu le veux, tu ne peux pas forcément accélérer. Ce n’est pas une honte.
  • Tu ne veux pas accepter que tu ne peux pas être en pic de forme toute la saison. Pour toi tu devrais être en forme tout le temps.
  • Après avoir enchaîné ce que tu considères comme étant des « contre perf » tu tombes dans un cercle vicieux où tu angoisses tellement de rater ta prochaine course que tu la rates. Putain de prophéties auto réalisatrices.
  • Tu es dans un mood où tu angoisses de ne pas performer et en même temps tu as tellement envie de perfer que tu es prêt à enchaîner des compétitions tous les jours s’il le faut. Contre-productif au possible.
L'échec en course à pied
  • Tu n’as plus vraiment envie d’aller à l’entraînement et dans le même temps, tu ne veux absolument pas t’arrêter car tu as peur de perdre tout ce que tu as acquis.
  • D’ailleurs à l’entraînement, tu es plus qu’au taquet, tu n’as qu’un seul but : te prouver à toi-même que tu es capable de performer.
  • Tu as déjà dit « Je suis cramé, je suis fini ». Sans le penser.
  • Tu te dévalorises beaucoup. Un peu dans l’espoir aussi qu’on te remonte le moral autour de toi.
  • Après une contre perf, tu ne veux plus entendre parler d’athlé. Manque de pot, tu es tellement fan de ce sport que tout autour de toi te le rappelle. Ton entourage, ta famille et surtout ton putain de feed Insta qui ne contient que des publis en lien avec la course à pied.
  • Tu regardes beaucoup de vidéos de motivation. La scène de Rocky 6 où Rocky parle à son fils : « Le soleil, les arc en ciel… » tu la connais par coeur.
  • Autre vidéo que tu connais par coeur : le reportage « Avec Thibaut ». Le passage du discours de Marc Madiot… Il avait tout bien fait putain.
  • Avoue que tu verses ta larme
  • D’ailleurs si Thibaut Pinot gagne le Tour, tu as dit que tu défilerais à poil sur les Champs Élysées.
  • Parce que bordel, demain il fera jour.
  • Tu déprimes en écoutant « Jour Meilleur » d’Orelsan. Mec tu vas pas nous faire une dépression à cause d’un chrono quand même ?
  • Tu n’as qu’une seule angoisse : ne pas avoir de nouvelle ligne en gras sur ta fiche Bases Athlé à la fin de la saison.
  • Tu corrèles beaucoup de choses qui n’ont rien à voir à l’athlétisme. En gros, si tu ne réussis pas en athlé, tu considères que tu foires ta vie en général. Tes perfs ont une incidence importante sur ton humeur quotidienne. Il faut vraiment arrêter de faire ça.
  • Tu regardes toujours les types meilleurs que toi et jamais ceux qui font moins bien. L’herbe paraît toujours plus verte ailleurs.
  • Quand tu rates une course tu dis « C’est toujours sur moi que ça tombe ». Alors que non, pas vraiment. Souvent peut-être, à la limite, mais pas toujours, c’est impossible.
  • Tu en viens presque à être dégoûté quand tu vois des gens autour de toi perfer. Sale égoïste.
  • Tu ne t’attardes pas souvent sur le chemin que tu as parcouru… Parfois ce que tu appelles « contre-perf » aujourd’hui était encore un rêve il y a quelques années…
  • On t’a déjà dit « Il n’y a pas que l’athlé dans la vie, relâche la pression ». Tu as dit « Oui, tu as raison. » mais tu ne l’as absolument pas appliqué.
  • « Relativiser » ? Tu ne connais pas ce mot.
  • Tu lis des bouquins avec des citations motivantes sur l’échec et regarde des réels sur Insta qui t’expliquent que rater fait « partie du process ».
  • Même quand tu le trouves éclaté, ton chrono au 5/10/semi/xxxx fait souvent rêver 95% des gens et ça tu l’oublies car ton putain de référentiel c’est des mecs en sub 30 au 10 ou en sub 1’06 au semi
  • La déprime en cross c’est aussi de passer 2 jours de voyage, dormir dans un formule 1 et aller dans des bleds dont t’entendras jamais parler (ou alors dans faites entrer l’accusé) pour prendre une branlée dans la boue et rentrer à 3h du mat le lundi matin
  • Le pire dans tout ça, c’est que tu n’es même pas pro, et en soi, que tu perfes ou pas ne changera pas grand chose à ton existence… Mais toi tu es persuadé du contraire. Pour toi, c’est devenu bien plus qu’un sport. C’est à la fois cool et très dangereux.
  • Ce qui est peut-être encore pire, c’est que si tu ne changes pas, tu ne seras pas vraiment heureux une fois que tu auras perfé (car ça finira par arriver). Tu seras juste « soulagé ». Nul.
  • Tu oublies de kiffer. Terrible.

Maintenant, si vous avez expérimenté au moins un ou plusieurs des points ci-dessus, sachez que vous n’êtes pas seul. Tout le monde a déjà eu envie d’abandonner après un échec. Même les meilleurs. C’est humain. Mais soyez certains d’une chose : personne ne peut vous garantir que si vous faites « le métier » vous obtiendrez les résultats que vous espérez. Le sport, en particulier l’athlé, et a fortiori la vie, ne sont pas forcément justes.

Le travail, peut mettre du temps à payer : il finira bien sûr par le faire mais peut-être pas dans les proportions que vous espérez. Travailler d’arrache-pied ne vous protège pas de l’échec, il ne fait qu’augmenter vos probabilités de réussite. Mais qu’importe au fond. Car si vous renoncez, si vous vous laissez aller, alors dans ce cas il est absolument certain que vous n’aurez pas ce que vous voulez. C’est une certitude. Probabilité de 100%.

La persévérance n’est ainsi pas une option, c’est la seule voie. L’obstination, le seul chemin vers la réussite. Au pire, vous ratez. Au mieux, vous réussissez. Alors autant tenter le coup, et se donner les moyens en mettant toutes les chances de son côté. Ce n’est pas dit que ça marche, mais c’est quoiqu’il advienne la seule issue.

Cet article a évidemment une dimension cathartique et pue le vécu vous vous en douterez. On ne lâche rien. «La fin du désert se cache peut-être derrière chaque dune. »

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